Cinq des grandes familles artistiques du continent noir

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Cinq des grandes familles artistiques du continent noir
 
« Je me demande si, par hasard, la définition, la conception de l'art que vous avez en Occident n'est pas un peu étroite", demande avec beaucoup de douceur Frédéric Bruly Bouabré. Ce petit homme de 83 ans, à la barbe blanche et à la démarche hésitante, est une sorte d'encyclopédiste illuminé, à la production foisonnante. Vieux sage ivoirien, il est l'un des artistes de la collection Pigozzi, dont des oeuvres sont accrochée au sein du Forum Grimaldi. Elles n'ont rien à voir avec les "messages" véhiculés par le "réaliste" Camille-Pierre Bodo ou l'univers onirique de François Thango, aujourd'hui décédé, un des précurseurs de la peinture africaine. L'art africain, hier comme aujourd'hui, est "pluriel".

 

Chaque artiste bénéficie, au sein du Forum Grimaldi, d'un espace personnel logé au sein d'un savant labyrinthe élaboré par le designer Ettore Sottsass. C'est donc au visiteur de construire son itinéraire au milieu de cette pluralité qui peut désorienter. Pourtant, au sein de cette production disparate, on peut essayer d'identifier quelques grandes "familles".
Les réalistes "populaires". Ils sont les plus connus pour avoir bénéficié de nombreuses expositions, personnelles ou de groupe. Parmi eux Cheri Samba, Moké et Bodo, tous de Kinshasa. Ils entendent témoigner des mutations de la société et délivrer des messages politiques, sociaux, éducatifs, par le biais toiles colorées, savamment mises en scène, souvent accompagnées de textes ou des légendes explicites. Les auteurs se mettent volontiers en scène. L'humour est pour eux une arme décisive.
Les inspirés. L'Ivoirien Bouabré, polygraphe génial, auteur d'une oeuvre immense et proliférante, veut explorer tous les champs du savoir. Il est notamment l'inventeur d'un alphabet universel et l'auteur de milliers de dessins réalisés aux crayons de couleur ou au stylo à bille, support d'une encyclopédie universelle. L'art talismanique de l'Ethiopien Gedewon (crayon, stylo à bille, encre) repose a priori sur une série de lignes enchevêtrées, d'une abstraction vertigineuse. En réalité, les oeuvres de cet esprit religieux sont destinées à soigner les âmes et les corps.
Les portraitistes. Ce sont essentiellement des photographes. Les Maliens Seydou Keïta et Malick Sidibé sont aujourd'hui bien connus. On découvre à Monaco le Ghanéen Philip Kwame Apagya, qui utilise la couleurs. Et surtout le Nigérian J. D. 'Okhai Ojeikere, dont l'oeuvre remarquable ­ en noir ­ est une réflexion à la fois esthétique, ethnologique et documentaire. Sans oublier Abou Bakar Depara, qui témoigne des belles heures de Kinshasa.
Les traditionalistes. La tradition peut se nicher n'importe où. Le Béninois Cyprien Tokoudagba puise dans celle du vaudou ou dans l'histoire du royaume d'Abomey. Son compatriote Romuald Hazoumé invente des masques ­ - symbole africain s'il en fut ­-, mais à l'aide de vieux bidons récupérés. Il est également l'auteur d'installations et de vidéos. L'une d'elles, sur le transport clandestin de l'essence entre le Nigéria et le Bénin, est impressionnante. Calixte Dapkogan, autre Béninois, est l'héritier des sculpteurs-forgerons Fons. Il utilise lui aussi des matériaux de récupération. Les frères Yebo, Ivoiriens, peintres et surtout sculpteurs hyperréalistes, travaillent essentiellement à la commande, comme le veut la tradition, pour la communauté Ebrié (Côte d'Ivoire) à laquelle ils appartiennent. De son côté, le Malgache Efiaiambelo modernise une autre tradition, celle des alouals, ces poteaux funéraires surmontés de groupes sculptés.
Les créateurs de monde. Rigobert Nimi, de Kinshasa, est l'inventeur de cités galactiques, illuminées de néons, peuplées de robots animés. Autre citoyen de Kinshasa, Bodys Isek Kingelez est un urbaniste de rêve. Il dresse avec un soin maniaque les plans, en trois dimensions, d'énormes villes juke-box, hérissées de tours colorées. Abu Bakarr Mansaray, de Sierra-Leone, se contente d'imaginer avec une précision d'ingénieur ­ - cotes comprises - les plans de machines volantes, roulantes ou rampantes aux profils parfois menaçants.
Emmanuel de Roux
Article paru dans l'édition du 26.07.05
 

Publié dans Divers

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