Bouygues pris à son propre piège

Publié le par vicky delore ndjeuga

Renégociation du contrat de la CIE
 
Bouygues pris à son propre piège
 
En affaires, il est capital d’avoir le sens de la prévision. En politique, par contre, il importe de savoir faire preuve de réalisme. Et quand politique et affaires s’entrechoquent, les choses se compliquent. C’est un peu l’odyssée que vit la multinationale française dans le cadre du renouvellement du contrat de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE). Retour sur un feuilleton politico financier qui n’a pas encore fini de livrer ses secrets.
 
Pour la petite histoire, il convient de rappeler que la Compagnie ivoirienne d'électricité (CIE) est propriété de la multinationale française Bouygues. Elle est chargée de l'exploitation du système production-transport-distribution de l'électricité, ainsi que de sa commercialisation, sur l'ensemble du territoire de la Côte d'Ivoire.
 
Cette "concession", octroyée par l'Etat ivoirien en 1990, arrive à échéance le 31 octobre prochain. Le feuilleton du renouvellement du contrat de la CIE par l’Etat ivoirien a débuté depuis 2002, bien avant l’assassinat, le 19 septembre 2002, du ministre Emile Boga Doudou, qui était chargé de cette renégociation.
 
Mais, lorsque survint la crise du 19 septembre, le groupe français marque le pas et saute même du bateau de la renégociation. Pour Martin Bouygues et ses collaborateurs, la guerre sonnait le glas du régime de Laurent Gbagbo, qui avait déjà manifesté l’intention de ne pas reconduire, de façon tacite, le contrat de la CIE.
 
En bon affairiste, il n’était plus raisonnable de négocier avec un régime dont le mandat serait écourté soit par la rébellion, soit par les élections d’octobre 2005 qui verraient, sans aucun doute, la fin du régime des refondateurs. Ce qui a,parfois, donné l’impression au cours de la crise ivoirienne que Bouygues avait partie liée avec la rébellion des Forces nouvelles (FN), qui contrôlent la moitié Nord du pays.
 
Mais, plus de deux ans après, l’évidence est tout autre, Laurent Gbagbo, plus que jamais semble de main de maître, mener la barque Ivoire. Et la perspective d’une réélection à la présidence de la République se précise. Face à des adversaires visiblement à court de stratégies.
 
Rattraper par ses certitudes, le numéro 2 du groupe a sauté dans le premier avion vers Abidjan. Du 7 au 9 août 2005, Olivier Bouygues, n°2 du groupe Bouygues, a tenté de se rattraper la « fatale erreur de jugement de son groupe » sur le pouvoir toujours en place à Abidjan. Le jeune frère de Martin Bouygues a été reçu respectivement par le chef de l’Etat et les ministres Bohoun Bouabré et Léon Monnet. Même si rien n’a filtré de ces entretiens, des informations font état de la bonne foi des différentes parties, à aboutir «à une solution contractuelle dans l’intérêt bien compris de toutes les parties».
 
Dans le camp de Laurent Gbagbo, on croit dur comme fer que la vengeance est un plat qui se mange froid. L’heure est, par conséquent, venue pour que la multinationale paye pour « son manque de loyauté vis-à-vis du régime ivoirien ». Ainsi, la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) a reçu un avant-projet de contrat de la part de l’Etat. Qui n’entend lui concéder désormais que le périmètre de la distribution de l’énergie électrique.
 
Une proposition qui n’agrée pas la CIE. Car, «comportant d’énormes conséquences négatives, tant aux plans technique que social », explique un cadre de la compagnie, sous le couvert de l’anonymat.
Pour ce responsable de la CIE, «ce qui importe, c’est de reconduire le contrat dans le périmètre actuel, tout en améliorant ce qu’il y a à améliorer ».
 
Dans sa mouture définitive, le nouveau contrat Etat de Côte d’Ivoire – CIE prévoit de scinder la compagnie en trois entités, avec notamment la création d'une société d'économie mixte, appartenant à l'Etat, en charge du transport de l'énergie électrique. “Un saucissonnage” de la CIE.
 
Dans la réalité, si l’Etat ivoirien ne se plaint pas du travail de distribution de l’électricité par la CIE, beaucoup de griefs sont, cependant, soulevés, notamment en ce qui concerne la commercialisation extérieure de cette source d’énergie et le développement du secteur. C’est pour remédier à certaines défaillances que l’Etat ivoirien entend « alléger la tâche à la CIE », lance, ironique, un ponte du parti au pouvoir.
 
Toutefois, de l'avis général, la CIE a rempli sa mission de service public et réussi à redynamiser le secteur, malgré la grave crise politico-militaire que traverse le pays depuis fin 2002. La CIE dessert quotidiennement environ 9,5 millions de personnes, avec 60% de la consommation nationale dans l'agglomération d'Abidjan. En quinze ans, elle est devenue un des leaders de son secteur sur le continent africain, faisant de la Côte d'Ivoire un pays exportateur d'électricité vers le Ghana, le Togo, le Bénin, et le Burkina Faso.
 
Du côté de la CIE, les consignes sont fermes sur la question de la renégociation du contrat avec l’Etat de Côte d’Ivoire. « Il faut éviter de faire des déclarations qui pourraient plutôt compliquer les choses », explique un autre cadre de la compagnie.
 
Seule un communiqué, signé du Président directeur général, diffusé dans la presse donne la position de l’entreprise dans cette « opération de représailles ». Marcel Zady Kessy invite « ses concitoyens, chacun à son niveau, à favoriser une ambiance propice à la poursuite des discussions dans un esprit de confiance ». Pour avoir vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué, la multinationale française l’a appris à ses dépens. Et devra en payer le prix.
 
Vicky Delore
 
ENCADRE
 
Ces déclarations qui font trembler Bouygues
 
Lors d’une rencontre à la fin du mois de juillet 2005 avec les journalistes, Paul Antoine Bohoun Bouabré, le ministre de l’Economie et des Finances, s’est prononcé sur le contrat qui lie depuis 1990 l’Etat de Côte d’Ivoire à la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE). Le ministre a, en effet, fait remarquer que «le contrat actuel n’est pas bon. Et que, « depuis 2001, l’Etat voulait passer à un autre contrat avec Bouygues qui est d’accord pour le principe »
Bohoun Bouabré a surtout tenu à mentionner que de 1990 à 2005, «les temps ont changé et qu’il y a lieu de changer les choses ». Mais, voulant se montrer rassurant, l’argentier de l’Etat, a indiqué que la « Côte d’Ivoire n’ira pas chercher un autre opérateur ailleurs ».
Par contre, il a tenu à montrer que dans cette négociation c’est bien lui qui est en position de force. «Si les négociations avec la CIE échouent, on prendra un autre opérateur », a-t-il averti.
Avant de conclure que «la fourniture d’électricité en Côte d’Ivoire ne s’arrêtera pas avec la rupture du contrat Cie-Etat». Ce qui est dit, est…
 
V.D.
 
 
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Un imbroglio politico-financier
 
Après les « négociations sereines » entre les gourous du groupe Bouygues et les autorités actuelles ivoiriennes, quel sort sera réservé au contrat qui lie la Côte d’Ivoire à la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE), après le 31 octobre 2005 ? Difficile, pour l’instant, de répondre.
Dans la réalité, l'enjeu économique pour la France reste très limité, et n'est pas à même d'influencer la politique de Paris en Côte d'Ivoire. Les activités ivoiriennes de Bouygues représentant 1% du chiffre d'affaires total du groupe, et moins de 2% de son bénéfice, selon l'estimation d'un spécialiste à Abidjan. Soit. Mais, reste qu’au-delà de l’aspect économique, « l’affaire contrat CIE » revêt également une dimension politique.
En effet, le Président directeur général (PCA) du groupe CIE-Sodeci, Marcel Zady Kessy, est le vice-président du PDCI-RDA, l’ancien parti au pouvoir en Côte d’Ivoire. Or, politique et affaires étant, de façon officieuse, intimement liées, les tenants du pouvoir ont vite fait le rapprochement entre l’attitude de la multinationale française et les calculs politiciens de son patron en Côte d’Ivoire durant la crise militaro-politique.
« Marcel Zady Kessy est vice-président du PDCI-RDA, il ne peut que encourager ou inspirer tout ce qui ramener son parti à la tête de l’Etat. C’est vraiment décevant que ses patrons de Paris se soient laissés entraînés dans ces calculs irréalistes », explique un cadre de l’administration ivoirienne, proche du Front populaire ivoirien (FPI), l’actuel parti au pouvoir.
Notre interlocuteur, apparemment excédé, ajoute : « En tout cas, en politique, on ne fait pas de passe à l’adversaire. Croyez-vous qu’après avoir découvert le jeu de Bouygues, les autorités ivoiriennes peuvent-elles encore reconduire in extenso le contrat de la CIE ? »
C’est ce qui expliquerait la décision d’Abidjan de scinder la CIE en trois entités. Ce "saucissonnage" de la CIE traduit la volonté du régime de la refondation d’opérer «un retour en force» dans le secteur stratégique du transport.
En tout cas, le FPI n’entend plus «donner à nos adversaires, des armes pour nous abattre», se réjouit, presque, un ponte du pouvoir ivoirien.
V.D
ENCADRE3
Une campagne médiatique approximative
Avant de retrouver les salons feutrés et les enceintes de marbre de certaines institutions ivoiriennes, l’affaire du renouvellement du contrat de la CIE, a fait la une de plusieurs tabloïds abidjanais. Et même internationaux.
Une démarche maladroite qui a irrité davantage le pouvoir d’Abidjan. Surtout que les journaux concernés sont tous – ou considérés comme tels – peu ou prou défavorables au régime de la refondation.
«La démarche du groupe ne cesse d’étonner encore aujourd’hui. Comment expliquer que la renégociation ait été proposée depuis 2001, et que des gens n’attendent pratiquement que 2005 pour réagir véritablement. Même pas directement aux autorités en place. Mais, plutôt dans les journaux. Ces questions ne traitent pas dans les médias », s’indigne une source proche du dossier. Qui conclut, quelque peu, sarcastique: « C’est seulement aujourd’hui qu’ils ont compris qu’il faut arrêter de faire de l’agitation, afin de favoriser des négociations sereines. Il se pourrait que ce soit bien trop tard ».
Paroles prémonitoires, marchandages politiciens ? Toujours est-il que la renégociation du contrat CIE-Etat de Côte d’Ivoire n’a pas encore fini de dérouler ses ressentiments et espoirs.
V.D
 

Publié dans Divers

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