Paul Biya: "Sarkozy égale continuité dans le fond; changement dans la forme"

Publié le par vicky delore ndjeuga

Ci-dessous le script de l’émission le « Talk de Paris » avec pour invité, ce 30 octobre, M. Paul Biya, Président de la République du Cameroun.
C’est la première interview que le Président Biya accorde à une télévision française depuis près de vingt ans.
Les grands sujets abordés au cours de cet entretien sont les suivants:
la présidence Sarkozy, la corruption, une éventuelle candidature en 2011, le dialogue avec l’opposition camerounaise, la dépouille du Président Ahidjo, une force au Darfour, la participation du Président Mugabe au Sommet Europe-Afrique.

Ulysse GOSSET

 

Bienvenue sur France 24, pour cette nouvelle édition du Talk de Paris. Une émission exceptionnelle, consacrée aux relations entre la France et le Cameroun. Entre la France et le Cameroun, c’est une longue histoire, mais c’est aussi une longue histoire entre la France et notre invité, le Président Paul Biya, que je salue. Monsieur le Président, je dois dire que votre parole est rare car vous n’avez pas accordé d’interview à une télévision française depuis vingt ans, je vous remercie donc d’avoir choisi le Talk de Paris. Je dois rappeler aussi que l’on vous a surnommé le Sphinx, puisque vous êtes un homme qui parle peu et donc quand vous parlez, on vous écoute avec attention. Je voudrais tout d’abord vous demander, puisque vous êtes à Paris et que vous avez rencontré le Président Sarkozy, comment l’on pourrait qualifier ces nouvelles relations aujourd’hui, cette nouvelle page qui s’ouvre des relations franco-camerounaises et d’abord comment ça se passe, personnellement, avec le Président Sarkozy ?

 

Paul BIYA

 

Eh bien je vous remercie. Mes premiers mots seront de remercier le Président de la République française, Monsieur Nicolas Sarkozy, pour l’invitation qu’il m’a adressée à visiter Paris et à visiter la France. (…) Je dois dire que le premier contact que j’ai eu avec lui était chaleureux, cordial, profond. C’est un politicien chevronné donc il connaît les problèmes, il connaît l’Afrique et je suis tout à fait heureux de noter cette continuité dans la relation entre la France et le Cameroun.

 

Ulysse GOSSET

 

Alors, vous dites « continuité », et en même temps Nicolas Sarkozy incarne une certaine rupture, un nouveau ton, un nouveau style : alors est-ce qu’il y a rupture, nouveau ton, nouveau style entre la France et le Cameroun aussi, et ou est-ce qu’on a tourné la page de ce qu’on a appelé la « France-Afrique » ?

 

Paul BIYA

 

A vrai dire, de mon point de vue je pense qu’il y a plus rupture dans la forme et continuité dans le fond (…) maintenant la nouvelle politique africaine de la France est en cours d’élaboration et il y a peut-être des changements, mais je crois que la rupture est surtout formelle. Nous pensons qu’il y a une certaine continuité.

 

Ulysse GOSSET

 

Qu’est-ce que vous attendez de la France et de Nicolas Sarkozy en particulier ?

 

Paul BIYA

 

Ce que nous attendons de la France c’est qu’elle continue à accorder sa coopération et son amitié à l’Afrique. Nous avons des liens anciens, des liens culturels, au moment où nous assistons à l’impérialisme linguistique de certaines langues, il n’est pas inutile de préserver un espace où l’on parle français. Et je crois que la France est un grand pays, membre permanent du Conseil de sécurité et quelquefois dans les affaires du monde, ces grands pays peuvent avoir besoin des voix des pays africains. Nous attendons qu’on continue cette relation économique, culturelle, financière qui a toujours existé.

 

Ulysse GOSSET

 

Je l’ai dit en commençant cette émission, vous êtes l’un des doyens du continent, vous êtes au pouvoir depuis maintenant près qu’un quart de siècle et donc vous êtes l’un des symboles de cette « France-Afrique » d’avant. Est-ce que la page est tournée ? Est-ce qu’elle est en train de se tourner ?

 

Paul BIYA

 

Elle est en train de se tourner… Je crois que c’est la relation avec la France, les formes extérieures qui vont changer. Je crois que la concertation va continuer et je pense que le Président Sarkozy va mettre l’accent sur le partenariat. Il veut que les Africains eux-mêmes disent ce qu’ils attendent de la France, il ne veut pas que ce soient des actes unilatéraux disant « On vous fait ceci, on vous fait cela » mais plutôt « Qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ? » et je pense qu’il y a déjà là un début de changement. Tout à l’heure, et je ne crois pas dévoiler un secret, j’ai invité le Président de la République à faire une visite au Cameroun et il a accepté immédiatement et avec joie. J’observe donc qu’il veut maintenir une continuité, une discussion ouverte, il veut savoir ce que les Africains veulent et la France verra ce qu’elle peut faire.

 

Ulysse GOSSET

 

Et, geste important, la France a contribué à annuler une grande partie de la dette, ce qui vous permets à vous de partir d’un bon pied.

 

Paul BIYA

 

Oui, bien sûr, et j’ai profité de l’occasion pour remercier le Président Sarkozy pour ce geste que la France a fait. La France a annulé une bonne partie de notre dette et en langage codé on parle de C2D et non seulement cette dette a été annulée mais on est en train de transformer cette annulation en projets concrets dans des secteurs précis : agriculture, santé, éducation, infrastructures, en liaison étroite avec la France.

 

Ulysse GOSSET

 

Monsieur le Président, comme le veut la tradition de cette émission, je vous propose de revenir sur votre parcours politique, qui est assez impressionnant, en regardant ce portrait, qui a été réalisé par l’un des journalistes de France 24, Guillaume Couderc. Regardons ensemble.

 

Diffusion du portait.

 

Ulysse GOSSET

 

Monsieur le Président, vous avez vu ce portrait. On a noté le rôle que joue maintenant votre épouse auprès de vous et on a vu surtout cette longue carrière tumultueuse avec beaucoup d’événements. Vous vous êtes retrouvé, dans ce portrait ?

 

Paul BIYA

 

Dans ses grandes lignes, ce portrait correspond à la réalité. Bien sûr, il ne m’arrive pas souvent d’accorder des interviews mais j’ai fait beaucoup de discours, j’en ai trois tomes. Je crois d’ailleurs que le portrait est bon, de manière générale, évidemment pour ce qui est de mon épouse. Elle mène une activité sociale et le fait savoir, donc elle est un peu plus moderne que moi. J’étais parti de l’idée que ce qui compte, ce n’est pas tellement ce que les gens disent, mais ce qu’ils pensent. Mais aujourd’hui, faire des interviews c’est aussi faire : les temps on changé.

 

Ulysse GOSSET

 

Il y a une urgence pour l’Afrique, c’est la question du SIDA, et je sais que votre épouse y est largement impliquée, notamment avec la création de cet institut de recherche à Yaoundé avec deux grandes personnalités du monde médical, les professeurs Gallo et Montagnier. C’est extrêmement important. Pourquoi avoir fait ça et quelle est l’importance de ce projet pour vous ?

 

Paul BIYA

 

Oui, c’est extrêmement important. Vous savez que l’Afrique est frappée par des pandémies : paludisme, tuberculose et surtout le SIDA. Ce centre joue vraiment un rôle important dans la prévention contre le SIDA et le professeur Gallo, que j’ai vu tout à l’heure, et aussi le professeur Montagnier ont bien voulu s’associer à mon épouse et à d’autres. Je dois dire aussi que c’est au cours d’un sommet de l’OUA, l’Union africaine en 1996 que mon épouse avait pris l’initiative de réunir des épouses de chefs d’Etat qui étaient présentes pour faire quelque chose ensemble.

 

(…) Nous n’avons pas de structures de recherche aussi sophistiquées et aussi développées qu’en Europe, mais il est bon tout de même que nous apportions notre contribution à la recherche des moyens d’éradiquer cette maladie. J’ai discuté avec le professeur Montagnier. Il m’a dit qu’ils utilisaient la pharmacopée traditionnelle, ils essaient - il y a de petites structures de recherche chez nous, il y a même des personnes qui prétendent guérir le SIDA. On acceuille tout cela, encadré par des chercheurs de renom comme les professeurs Gallo et Montagnier. Nous pensons que nous pouvons apporter notre contribution au lieu d’être là à attendre et à pleurer. J’ai également parlé à l’Unesco et j’ai remercié l’Unesco, qui nous aide à faire des actions de prévention contre le SIDA en milieu scolaire et pour tout cela mon épouse est présente, dans le cadre de ses activités.

 

Ulysse GOSSET

 

L’un des événements majeurs de l’année au Cameroun, ça a été l’action que vous avez lancée contre la corruption. L’image à ce propos n’est pas très bonne dans le monde, au classement mondial vous êtes l’un des pays les plus corrompus et là, vous avez fait mettre en prison des ministres et une vingtaine d’hommes d’affaires qui étaient accusés ou condamnés pour certains déjà, de corruption. Est-ce que vous êtes déterminé à mettre fin à la corruption au Cameroun et est-ce que c’est possible ?

 

Paul BIYA

 

Vous savez, la corruption est un vice qui n’est pas spécifique au Cameroun, c’est un phénomène mondial, mais nous avons pensé qu’un pays comme le nôtre, qui ne dispose pas de ressources énormes, a intérêt à limiter les déperditions d’argent et de fonds. Nous sommes déterminés à aller de l’avant et nous avons non seulement procédé à des arrestations avec des traductions de responsables devant les tribunaux, mais nous avons aussi mis en place un certain nombre de structures : une commission nationale de lutte contre la corruption, une agence pour lutter contre le blanchiment d’argent, on a créé une cour des comptes etc. Nous avons un certain nombre de structures permanentes qui ont pour finalité de chercher à éradiquer la corruption et tout un service de bonne gouvernance. Nous pensons arriver à de bons résultats. Tenez, je peux donner quelques résultats : les recettes du port de Douala, qui atteignaient un certain niveau mais qui, dès qu’on a commencé à appliquer la lutte contre la corruption, ces recettes ont augmenté de 30 ou 40 %, donc c’est intéressant.

 

Ulysse GOSSET

 

Et qu’est-ce que vous dites à ceux qui n’y croient pas, qui disent que c’est de la poudre aux yeux ?

 

Paul BIYA

 

Ce n’est qu’avec le temps, qu’ils verront que ce n’est pas de la poudre aux yeux. Je peux donner encore un résultat : prenez par exemple les salaires que l’Etat paie aux fonctionnaires. Nous avons noté qu’il y avait des agents qui touchaient deux, trois, voire quatre salaires, et grâce aux mesures d’assainissement du fichier de soldes, nous avons pu économiser quelques milliards par mois. Les gens qui croient que c’est une mode se trompent. C’est vraiment un axe majeur dans la politique de redressement de notre économie. Nous avons poursuivi ces actions dans les marchés publics, dans les produits pharmaceutiques… C’est une lutte absolument capitale pour le redressement des finances publiques et pour les mœurs. Egalement, quand les investisseurs viennent au Cameroun, c’est absurde qu’on dise à un investisseur « C’est bien, vous voulez faire une usine, mais moi vous me donnez combien ? ». C’est quelque chose qui dégoûte et décourage les investisseurs donc on a créé un bureau chargé de l’accueil des investisseurs où tout est centralisé.

 

Ulysse GOSSET

 

Cela veut dire que vous allez avoir une nouvelle génération de dirigeants au Cameroun qui va venir et que vous espérez voir débarrassé de ce fléau.

 

Paul BIYA

 

C’est ça et je dois dire que cette lutte est très populaire. La population m’écrit tous les jours, pour me dire « Attention, tel acte est un détournement », mais évidemment je fais des recherches, car si je les prenais au mot peut-être que les prisons ne seraient pas assez grandes. C’est une lutte qui est très soutenue par la population, par les bailleurs de fonds, par la population européenne, par la France, par tous les pays avec qui nous sommes en coopération. Je ne suis pas naïf, je ne pense pas qu’on ramène la corruption à zéro mais il faut la ramener à des niveaux insignifiants, qui ne perturbent pas le développement.

 

Ulysse GOSSET

 

Ça va prendre combien de temps ? Jusqu’à la fin de votre mandat ?

 

Paul BIYA

 

Même avant la fin de mon mandat, on verra déjà des résultats. Nous commencerons bientôt à noter de bons résultats.

 

Ulysse GOSSET

 

Eh bien nous allons suivre avec beaucoup d’attention, car en échange de cette lutte contre la corruption vous obtenez un allègement de la dette de la part des pays européens et occidentaux donc c’est très important pour le Cameroun en général.

 

Ulysse GOSSET

 

Monsieur le Président, comme le veut la tradition de cette émission, je vous propose d’écouter une question d’un écrivain, d’une écrivain connue, talentueuse, Calixthe Beyala, qui s’adresse à vous.

 

Diffusion de la question de Calixte Beyala

 

Calixthe BEYALA

 

ECRIVAIN

 

Mes hommages Monsieur le Président,

 

« Ma question porte sur l’international. Il y a 20 ans on avait l’impression qu’il y avait plus de Camerounais occupant des postes importants dans les institutions internationales. Nous remarquons aujourd’hui un recul de cette présence camerounaise. Comment expliquez-vous cette situation ? Que comptez-vous faire pour y remédier ? La deuxième question porte également sur l’international. Les artistes et intellectuels camerounais sont des véritables ambassadeurs de sa culture, de son économie, de sa diversité. Or il s’avère que nous avons l’impression que l’Etat camerounais les néglige et qu’il estime peut-être que le travail fait par ces intellectuels n’est pas digne d’intérêt. Comment expliquez-vous cela ? Que comptez-vous faire pour remédier à ce malaise ? »

 

Ulysse GOSSET

 

Monsieur le Président, malaise intellectuel et recul de l’influence camerounaise à l’étranger ?

 

Paul BIYA

 

Je commencerais par les artistes. J’ai nommé à la tête du Ministère des arts et de la culture un écrivain de talent, Oyono Ferdinand. Il a mis sur pieds un statut absolument révolutionnaire qui permet aux artistes d’être rémunérés (peintres, sculpteurs), jusque là, c’était presque du bricolage. Nous sommes en train de réhabiliter la fonction artistique. (…) J’ai été très impressionné, l’autre jour, en visitant l’exposition de peinture moderne camerounaise. C’était absolument remarquable et à partir de produits camerounais. J’ai demandé à l’ambassadeur et à ceux qui étaient là de me rappeler la nécessité de revoir les moyens de dynamiser encore plus le secteur artistique et culturel. Cet écrivain n’est plus en mesure de s’occuper de cette mission et j’ai nommé une dame, la nouvelle ministre de la Culture, qui prend cette affaire très à cœur et je pense que nous pourrons encore améliorer la position des artistes dans le pays. Les hommes politiques passent mais les artistes et leurs œuvres restent. J’ai dit à ma compatriote que nous allions accorder plus d’importance encore à ce secteur.

 

Sur le problème des postes internationaux, je ne serais pas aussi affirmatif, parce que la nomination dans les organisations internationales obéit à une certaine rotation entre les pays. Prenons par exemple l’Unesco. Nous avons eu successivement quatre camerounais, chacun pendant quatre ans, comme membres du Conseil exécutif. Il y a quelques jours on a décidé de mettre quelqu’un d’autre mais c’est normal, c’est la règle du jeu. Mais nous continuons à lutter pour que des Camerounais accèdent à des postes importants. Nous venons d’obtenir qu’un Camerounais devienne Directeur général des bois tropicaux, ce qui a été une lutte gigantesque. Il a fallu l’appui de la Chine, du Brésil et de la France pour gagner ce poste. Nous venons également de faire élire un camerounais à un organe important à l’échelle mondiale : les douanes. Donc, s’il y a des gens qui perdent leur poste, il y en a d’autres qui arrivent. Et ne soyons pas égoïstes, nous ne sommes pas seuls. Tous les pays veulent avoir leurs représentants dans des organisations internationales. Nous nous battons. Quelquefois nous gagnons, et quelquefois nous perdons.

 

Nous arrivons au terme de la première partie de cette émission, Monsieur le Président, je vous propose de regarder ensemble le journal de France 24 et nous nous retrouvons dans quelques minutes. A tout de suite.

 

Fin de la première partie

 

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Deuxième partie

 

                    
 

 

Ulysse GOSSET

 

Retour sur le plateau du Talk de Paris pour cette émission spéciale avec notre invité, le Président du Cameroun, Paul Biya. Je vous propose, Monsieur le Président, de revenir sur cette nouvelle page qui s’ouvre entre le Cameroun et la France en écoutant le discours du Président Sarkozy à Dakar. C’est un discours qui a suscité une véritable polémique, regardons cela ensemble.

 

Diffusion Extrait du discours :

 

Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.

 

Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.

 

Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance.

 

Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin.

 

Ulysse GOSSET

 

Monsieur le Président, votre commentaire ?

 

Paul BIYA

 

J’ai écouté ce discours. Je crois qu’il mérite d’être lu et relu, …

 

Ulysse GOSSET

 

Certains l’ont jugé colonialiste, d’autres racistes et le Président sud-africain a dit « Pas du tout, c’est un bon discours ».

 

Paul BIYA

 

Si vous voulez mon avis, je suis plus proche du point de vue du Président sud-africain. (…) Il me semble que ce discours pose les jalons d’une nouvelle ère de coopération entre la France et l’Afrique. C’est un discours qui s’adressait aux adultes. Ce que moi j’ai surtout retenu, c’est qu’il fallait que les africains cessent de se plaindre du passé colonial, de l’aliénation coloniale et qu’ils assument le double héritage : l’héritage africain - qui est le leur, qui est inné - et ce qu’ils ont pu acquérir au contact avec les milieux occidentaux, et qu’ils se tournent vers l’avenir. Je crois que c’est ce qu’il faut faire. Beaucoup de pays ont été colonisé, par les Romains, par exemple. Ou le Japon qui, à l’ère du Meiji, était plus ou moins colonisé. Ils ont acquis la technologie et une certaine culture occidentale et aujourd’hui c’est une grande puissance. Je crois que c’est cet appel qui est lancé à la jeunesse. Voilà, je crois, ce qu’on doit avoir compris de ce discours. Il y a également de très beaux passages où il cite l’apport de notre culture nègre à l’âme moderne. Nous allons vers une civilisation de métissage, on ne peut pas aller à l’universel en se repliant sur un âge d’or précolonial. Nous sommes un peu tout ça : nous sommes africains, il y a eu l’apport de l’Occident, il y a eu l’apport des religions chrétiennes, musulmanes, nous sommes fait de tout cela. Mais l’important est de se projeter vers l’avenir et d’entrer dans la modernité.

 

Ulysse GOSSET

 

Le Président Sarkozy parle aussi d’immigration choisie, est-ce que vous êtes d’accord ?

 

Paul BIYA

 

En ce qui concerne l’immigration, je m’abstiendrais de donner un accord. L’immigration est un domaine de politique intérieure. La France est un pays amené à définir souverainement sa politique d’immigration. Ce que nous avons à faire, c’est nous adapter et, peut-être, faire quelques suggestions et des souhaits, dire que cette nouvelle politique d’immigration, nous souhaitons qu’elle soit appliquée avec humanité et avec souplesse.

 

Ulysse GOSSET

 

Mais certains de vos collègues africains ont dit « Chez nous, il n’y a pas de générosité ou d’hospitalité choisie, on accepte tout le monde, on invite tout le monde et tout le monde est le bienvenu ».

 

Paul BIYA

 

Chez nous c’est chez nous, et ici c’est la France.

 

Ulysse GOSSET

 

Et le test ADN. Vous savez que la France vient de passer une loi qui l’autorise, dans certaines conditions, avec un contrôle, les tests ADN pour voir quelles sont les filiations, par exemple pour les enfants qui veulent venir en France. Est-ce que cela vous a choqué, comme cela a choqué, d’ailleurs, certains ministres français du gouvernement de Nicolas Sarkozy.

 

Paul BIYA

 

C’est un débat intéressant, qui oppose les moralistes, les politiciens, les juristes. Là, comme c’est un aspect d’une réglementation générale sur laquelle je me refuse de m’exprimer, s’agissant d’une loi d’un autre pays.

 

Ulysse GOSSET

 

Mais au Cameroun, est-ce que ça a été bien pris, ce test ADN ?

 

Paul BIYA

 

Au Cameroun, je crois que la plupart ont rejeté ce test ADN.

 

Ulysse GOSSET

 

Et vous ?

 

Paul BIYA

 

Je m’abstiens de porter un jugement …

 

Ulysse GOSSET

 

On sent une petite critique dans l’absentions, quand même.

 

Paul BIYA

 

Je m’abstiens de porter un jugement car je crois que ce sont des décisions qui ont été prises en toute souveraineté. Il m’est revenu d’ailleurs qu’il y a d’autres pays qui recourent à ces tests, d’autre pays européens et peut-être qu’il y en a d’autres. Il me semble que l’Afrique doit faire tout ce qu’elle peut pour essayer de rendre acceptable ou supportables les lois qui se font et qui les concernent. Mais quand ces lois sont votées, notre devoir est de les respecter, par respect pour la souveraineté des pays.

 

Ulysse GOSSET

 

Parlons un peu de vous personnellement, vous êtes au pouvoir depuis un quart de siècle. Vous avez été confronté à une tentative de coup d’Etat contre vous et tout le monde se demande jusqu’à quand vous allez rester en politique. Je vous propose d’écouter une question qui nous est venue de l’un de nos téléspectateurs. Regardons ensemble.

 

Diffusion de la question

 

Louis KEUMAYOU

 

Président de l’Association de la presse panafricaine (APPE)

 

Correspondant du quotidien camerounais « Le Messager »

 

Monsieur le Président,

 

« Certaines mauvaises langues vous prêtent la volonté de changer la constitution en 2011 pour vous représenter à la présidence du Cameroun. Est-ce que vous pouvez nous dire aujourd’hui si oui ou non vous serez candidat à votre propre succession en 2011 ? »  

 

Ulysse GOSSET

 

Alors c’est la grande question au Cameroun. Vous êtes effectivement élu jusqu’en 2011, et après ?

 

Paul BIYA

 

Ce que je peux déjà dire, c’est que les élections présidentielles camerounaises en 2011 sont certaines mais je les considère comme lointaines. J’ai un mandat de sept ans et j’ai fait la moitié de ce mandat. A l’heure actuelle nous avons d’autres priorités et la constitution telle qu’elle est aujourd’hui ne me permet pas de briguer un troisième mandat. Cela étant, nous avons d’autres urgences : lutte contre la corruption, contre le SIDA, contre la pauvreté. Il faut assurer la stabilité dans l’Afrique centrale et j’estime que ces problèmes d’élections sont posés prématurément. Il y a d’autres urgences en ce moment. La constitution à l’heure actuelle ne me permet pas d’envisager un autre mandat.

 

Ulysse GOSSET

 

Mais est-ce que vous pourriez faire comme d’autres chefs d’Etat africains qui transmettent le pouvoir, en disant par exemple, « Je ne me présente plus », dans une grande tradition démocratique ?

 

Paul BIYA

 

Nous avons fait tous ces efforts pour bâtir une démocratie. Le moment venu, il y aura des candidats et je crois que l’idée de préparer quelqu’un, cela relève de méthodes proches de la monarchie ou de l’oligarchie. Les Camerounais sont assez mûrs, ils pourront choisir, le moment venu.

 

Ulysse GOSSET

 

Il n’y a pas de dauphin, alors ?

 

Paul BIYA

 

Je crois que dans une république, le mot « dauphin » résonne mal.

 

Ulysse GOSSET

 

Mais vous, vous auriez envie de vous représenter ou pourrez-vous, éventuellement, ne pas le faire ? Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

 

Paul BIYA

 

Le Cameroun a vraiment d’autres problèmes à résoudre que celui-là mais je laisse ceux qui veulent ouvrir ce débat. Parce qu’il y a aussi des gens qui disent que pour assurer la continuité il faut que le président se représente. Je laisse le débat se dérouler mais pour le moment, la constitution ne me permet pas un troisième mandat et je sais aussi que les constitutions ne sont pas faites ne varietur, le peuple lui-même détermine ce qui est bon pour lui, alors nous sommes à l’écoute, mais je somme mes compatriotes de s’atteler à des tâches plus urgentes.

 

Ulysse GOSSET

 

Il y a aussi des Camerounais, sans attendre 2011, qui vous demandent d’aller dans le sens de plus de démocratie. Ecoutons cette autre question de l’un de vos compatriotes.

 

Diffusion de la question Jean Paul Tchakote.

 

Question Jean-Paul TCHAKOTE

 

Président de la section du Front Social Démocrate (SDF) de France

 

Bonjour monsieur le Président,

 

« Nous venons de vivre des élections couplées municipales et législatives, le 22 juillet dernier, et les partielles le 30 septembre. Au cours de ces élections nous avons noté une importante abstention,  moins de 15% d’électeurs inscrits dans certaines circonscriptions, ce qui correspond à moins de 7% du potentiel électoral, voire beaucoup moins compte tenu du fait que les chiffres issus du dernier recensement ne sont toujours pas publiés. Monsieur le Président, admettez-vous l’idée d’un dialogue national basé sur une réconciliation véritable avec le retour de la dépouille du Président Ahidjo, un dialogue avec vos opposants y compris monsieur John Fru Ndi que vous n’avez toujours pas rencontré en 17 années de multipartisme ? »

 

Ulysse GOSSET

 

C’est la question fondamentale du dialogue entre un Président et son opposition. Est-ce que c’est possible au Cameroun ?

 

Paul BIYA

 

D’abord les statistiques qu’il donne sont sujettes à contestation. L’abstention n’était pas aussi importante. Et je note aussi qu’ailleurs dans le monde il y a une tendance à l’abstention au moment des votes. Les élections ont enregistré une participation au moins égale à la moyenne de 60 % et il y a eu des régions où l’on a voté à 90 %. Voilà pour les statistiques.

 

Quant au dialogue, nous sommes pour le dialogue. Je prends les élections du 22 juillet dernier, les élections législatives et municipales. Nous les avons gagnées. Nous avons gagné 140 députés contre 13 pendant les partielles. Nous pouvions occuper tous les postes. Qu’est-ce que nous avons fait ? Nous avons ouvert un dialogue avec les partis politiques pour leur dire « Il faut partager, nous vous demandons de vous associer à nous dans la gestion du parti. » On l’a fait à l’assemblée nationale. Le bureau de l’assemblée nationale comprend les membres de mon parti mais aussi les membres des partis de l’opposition. Les commissions à l’assemblée, le poste de vice-président, on s’est réparti cela. Après, le dialogue est difficile avec une opposition qui, malgré sa défaite, demande à présider l’assemblée nationale, vous vous rendez compte ? Ils ont fini par accepter la vice-présidence. Il a cité le cas du leader de l’opposition, Monsieur Fru Ndi. C’est vrai qu’on ne s’est pas rencontrés et il ne me démentira pas : on avait pris rendez-vous pour discuter et il a choisi le village, mon village, qui n’est pas très loin de Yaoundé. J’étais d’accord mais au dernier moment c’est lui qui n’est pas venu. Nous dialoguons avec les leaders de l’opposition, je m’inscris en faux contre cette remarque.

 

Ulysse GOSSET

 

Donc vous seriez d’accord pour le revoir ?

 

Paul BIYA

 

Mais je suis prêt à le rencontrer, je n’ai pas de problèmes, nous avons encore un Sénat à élire, nous avons des assemblées régionales à élire, nous voulons qu’il y ait de la monnaie dans la gestion des affaires de l’Etat. Mais je n’ai aucune espèce de mépris contre qui que ce soit, une bonne partie des membres de mon gouvernement viennent de l’opposition.

 

Ulysse GOSSET

 

Donc vous êtes comme Nicolas Sarkozy, en France… ?

 

Paul BIYA

 

Voilà ! Et les membres de mon parti sont un peu réticents mais je leur dis qu’il faut partager.

 

Ulysse GOSSET

 

Publié dans crise ivoirienne

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