Les conditions du colonel Jules Yao Yao

Publié le par vicky delore ndjeuga

Yao Yao Jules écrit à Kadet Bertin:

‘’Mes conditions pour rejoindre la République’’

Le voile continue de se lever sur ce qu’il convient d’appeler désormais ” l’affaire Jules Yao Yao “. Dans une lettre ouverte au conseiller spécial du chef de l’Etat, Kadet Bertin, et diffusée sur les mails, ce week-end, l’ancien porte-parole des Fanci donne de nouvelles raisons de sa colère et précise les objectifs qu’il vise. “Si certaines personnes, voire des officiers et des intellectuels émérites, acceptent passivement les menaces de mort et les tentatives d’assassinat sur leur personne sans réagir, moi, je refuse de subir, quand je suis convaincu de ma raison”, indique l’officier qui vient d’être promu colonel plein.
Dans sa lettre ouverte à Kadet Bertin, le colonel Jules Yao Yao expose, d’emblée, ses motivations : “Opposer à la légalité, la légitimité de l’acte de survie, en vertu du principe de nécessité proclamé par le droit positif universel “.
Avant de faire des révélations sur ” sa dissidence “. ” Je figure depuis longtemps sur une liste d’hommes dangereux à éliminer “, explique le directeur des télécommunications et des systèmes d’information (DTSI) de l’armée ivoirienne. Il rappelle que l’information lui avait été donnée par le conseiller spécial du président Gbagbo, Kadet Bertin. ” Vous-même m’aviez fait savoir que mon nom figurait au côté de noms d’autres officiers qui projetteraient de faire un coup d’Etat “, indique-t-il.
Pour lui, ” l’incident de l’ambassade de France ” n’est que la mise en œuvre de ce projet d’assassinat. Peu après, un ” groupe d’hommes en uniforme, en armes et se déplaçant à bord d’un véhicule à immatriculation masquée, [qui] s’est rendu à mon domicile à une heure incongrue, au motif de me remettre un colis au nom du CEMA. Le CEMA a confirmé devant témoins, n’avoir envoyé personne me remettre quoi que ce soit, ce mardi 28 juin 2005 à 23H30. Alors, qui auraient pu être ces gens, en provenance de la Garde Républicaine et du Groupe de Sécurité Présidentiel, dont le mode opératoire est, à tous les points de vue, pareils à ceux des tueurs que l’opinion a fini par qualifier D’ESCADRONS DE LA MORT “, s’interroge-t-il.
Aujourd’hui, Jules Yao Yao pose deux conditions pour rejoindre la République:
1- ” que soient retrouvés et sanctionnés ceux qui ont tenté de m’assassiner et à défaut m’ont battu. J’identifie ces derniers aux escadrons de la mort.
2- que mes effets personnels qui m’ont été volés au cours d’une interpellation commandée par le Cema me soient restituées ”
Si ce n’est pas le cas, l’ancien porte-parole de l’armée met en garde Kadet Bertin : ” Croyez-moi, vous n’avez pas idée de mes intentions dans ce que j’envisage pour l’aboutissement de cette affaire. Et si la République devrait sauter, elle sautera “, parce que, insiste Yao Yao, ” une République qui assassine ses propres enfants, ne mérite pas moins que de disparaître de la surface de la terre “.
Revenant sur sa récente promotion au grade de colonel, ” monsieur Haut les cœurs ” semble plutôt indifférent. ” Pour un Officier, à jour de tous ses diplômes militaires, qui n’a jamais été puni et de surcroît breveté d’Ecole de Guerre, être promu à 50 ans, est plutôt frustrant, remarque-t-il.
Concernant le général de brigade Philippe Mangou, Jules Yao Yao indique qu’il méritait un “galon ” de général de corps d’armée, au vue de la mission d’encadrement des forces de défense et de sécurité qui lui a été confiée, et qui met sous ses ordres environ 40 000 personnes.
Pour l’officier révolté, l’armée ivoirienne est malade de la ” manie de la classe politique ivoirienne, à vouloir tout instrumentaliser à des fins partisanes ” Et de conclure, comme un jeteur de cauris, cette lettre ouverte à Kadet Bertin, le conseiller spécial du président Gbagbo : ” Hier, avant l’avant l’avènement de votre régime, je m’y suis opposé, aujourd’hui, je m’y oppose par ma posture de révolte, de défiance, de dissidence et de clandestinité et demain, ce sera la même chose, si nécessaire, avec ceux qui vous remplaceront ”
 
                                                                                                                                                           Vicky Delore

ENCADRE 1

En sacrifice pour la paix et la réconciliation

 La question qui s’impose, après la lecture de la lettre de l’ancien porte-parole de l’armée nationale est : pourquoi seulement maintenant ? C’est vrai, il est un temps pour toute chose. Et la lettre du lieutenant-colonel Jules Yao Yao sonne comme un autre témoignage – et non des moindres – de la sale guerre qui défigure la Côte d’Ivoire, depuis le 19 septembre 2002.

Au cœur de la troupe dont il a toujours fait écho des préoccupations, depuis le début de la crise, Monsieur «haut les cœurs, on y va !» fait des révélations qui pourraient, dans un premier temps apparaître comme un cinglant désaveu contre la hiérarchie militaire et les autorités de son pays. Mais, à y voir de très près, la correspondance de Jules Yao Yao est surtout – et vraiment – un « appel aux frères d’armes, aux populations et à la communauté internationale ».

Tout en saluant l’action salutaire de ses frères d’armes, Jules Yao Yao en appelle au président de la République pour que soient «retrouvés et sanctionnés ceux qui ont tenté de m’assassiner ». Le chef de l’Etat reste pour lui, un chef de famille qui ne peut « être repu, quand sa progéniture crie à la faim », indique-t-il.

Justice, liberté et réconciliation nationale sont le leitmotiv qui irrigue les 80 lignes qui composent cette missive. Le lieutenant-colonel ne verse point dans l’invective et la rancœur. Ces blessures, ses humiliations et sa tristesse sont inscrite dans le cadre général de la Côte d’Ivoire qui, comme lui, est blessée et cherche à guérir de son mal.

« Ne vous préoccupez pas de moi, je vous l’ai déjà dit, je m’offre en sacrifice pour que la Côte d’Ivoire retrouve la paix », conclu le colonel.

 

                                                                                        Vicky Delore

 ENCADRE2

 

 Les révélations troublantes du lieutenant-colonel

 Tueries de mars 2004, événements de novembre 2004, mort du colonel major Bakassa Traoré, malaise dans l’armée, escadrons de la mort… l’ancien porte-parole des Fanci, de façon subtile, fait des révélations troublantes qui achèvent de convaincre sur la gravité du mal ivoirien.

 - Mars 2004. L’ancien porte-parole de l’armée reconnaît que, « sur la base de simples présomptions, d’innocentes populations, qui souhaitaient exprimer leurs différences d’opinions comme le permet la démocratie, ont été victimes des pires atrocités et de meurtres, par le fait d’individus armés infiltrés au sein des Forces de défense et de sécurité »

Selon un rapport de l’Onu sur ces évènements, au moins 120 personnes avaient été tuées, parmi lesquelles des membres des Forces de défense et de sécurité. C’est justement pour éviter que ce carnage ne se reproduise que Jules Yao Yao a publié, la semaine du 25 au 31 juillet 2005, à la suite des attaques d’Anyama et d’Agboville, un document intitulé : «Appel aux frères», pour « attirer l’attention des membres des Forces de défense et de sécurité, afin que leur mission régalienne de maintien de l’ordre, de protection de populations et de leurs biens ne soit détournées à d’autres fins, à la suite de l’appel lancé par Monsieur Charles Blé Goudé ».

 - Mort de Bakassa Traoré. Sans l’affirmer de façon catégorique. L’ancien porte-parole de l’armée établit un le lien direct entre la bastonnade du colonel-major Désiré Bakassa Traoré, directeur de l’Office ivoirien de la protection civile, et son interpellation, sur ordre du chef d’état-major de l’armée nationale. Comme dans un réquisitoire, le lieutenant colonel dit toute son amertume : « Quand, pour aucune raison apparente, des membres de ma corporation, qui plus est, moins gradés que moi, appartenant à la Garde républicaine et au Groupe de sécurité présidentielle, se rendent à mon domicile pour tenter de m’y enlever, à des fins probablement funestes ; quand, ces mêmes éléments, dans le cadre d’une interpellation commandée par le Chef d’état-major des armées (Cema), me battent et m’humilient comme ils l’ont fait, avec en prime le décès prématuré du colonel major Bakassa …. », écrit-il.

- Malaise dans l’armée. «Blessé et malade, la hiérarchie militaire m’a poussé à me cacher dans un pays que j’ai aidé à défendre, m’obligeant à abandonner mes enfants, me contraignant à la clandestinité et à la dissidence », souligne l’officier. Qui relève au niveau de l’armée ivoirienne, « une divergence d’option opérationnelle » quant à la résolution de la guerre en Côte d’Ivoire. M. Yao Yao, réaffirme ce qui est sa conviction : « Il n’y a pas de solutions à la crise ivoirienne par la guerre, à moins de souhaiter la guerre civile » Et d’ajouter, un tantinet provocateur : « On ne peut pas vouloir m’assassiner pour cela, encore moins me battre ». Pour conclure, le gradé précise : « Je n’a reçu ni promotion, ni décoration dans l’ordre national, je n’en ai pas fait un problème et je n’ai rien revendiqué. Au contraire, je me suis associé à la joie de ceux qui ont obtenu la reconnaissance national »

 - Escadrons de la mort. Emile Téhé, Camara Yêrêfê dit, Dr Dacoury-Tabley et plusieurs autres personnes ont été enlevées et criblées de balles au lendemain de la crise du 19 septembre 2002. Plusieurs autres sont toujours portées disparues. Cette action criminelle a été mise sur le compte des escadrons de la mort. Et dans sa lettre, Jules Yao Yao lève un coin de voile sur les auteurs de ces agissements.

« Mes chers frères d’armes, mes chers frères et sœurs, le moment me semble venu pour que vous retrouviez tous ces tortionnaires et tueurs qui, planqués au palais présidentiel, desservent vos actions de haute portée républicaine, en créant la désolation et la misère chez les autres », indique l’officier supérieur qui précise : « Vous les connaissez, car tout se sait dans notre milieu. Dénoncez-les auprès des organisations des droits de l’homme, afin qu’ils rendent compte de leurs turpitudes »

 

V.D

 ENCADRE 3

 Du général Doué au colonel Yao Yao

 Le lieutenant-colonel Jules Yao Yao est autre officier supérieur des Fanci qui tombe en disgrâce, depuis la crise du 19 septembre 2002. Après, l’opération Dignité de novembre 2004, le chef d’état-major de l’armée ivoirienne a été remplacé. De même, le général Denis Bombet, commandant des forces terrestres, a été nomé inspecteur général de l’Armée. Quelques jours plus tard, dans les cercles proches du pouvoir, « le Chinois Doué » a été accusé d’avoir voulu faire un coup d’Etat, en complicité avec les troupes françaises de l’opération Licorne. Depuis, le général est introuvable et les supputations sur son sort vont bon train.

Après les tueries de Duékoué qui ont fait plus de 100 morts, les chefs militaires de la région, adulés jadis par les populations ont été mutés. Si le redoutable colonel Yedess a été affecté comme attaché militaire en Allemagne, la situation de son frère d’armes, le colonel Klopka reste confuse. Reproche officieux fait à ces deux braves officiers, le laxisme qui aurait permis aux assaillants de massacrer des populations civiles sans être inquiétés.

Si certains ont choisi la discrétion et la loi de l’Omerta pour digérer leur amertume, il n’en est rien de l’ancien porte-parole des Fanci qui, devant l’injustice, a substitué au devoir de réserve, le droit d’expression, au nom de la morale et du droit qui lui commandent de se défendre.

Survivant à un premier limogeage au porte-parolat de l’armée nationale, il est cette fois, toujours de façon officieuse, reproché au lieutenant-colonel, sa « langue un peu trop pendue »

Bon communicateur, Jules Yao Yao, a toujours laissé l’image d’un iconoclaste. Très mal à l’aise dans les vêtements de « grand muet » comme le recommande l’exercice militaire.

La goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase est la position des autorités ivoiriennes sur les tueries de Duékoué, en juin 2005. le porte-parole du président Gbagbo avait soutenu que ces massacres portaient « les marques des rebelles ». Une position que n’avait pas partagé le porte-parole de l’armée. Jules Yao Yao avait plutôt invoqué des conflits fonciers.

Pour le néo dissident, plus que jamais, le « président de la République doitt la capacité de concilier les idées extrêmes et contradictoires que lui exposent ses collaborateurs ». Car, précise l’officier des Fanci, « Il ne peut pas et ne doit pas avoir de préférence pour les uns aux dépens des autres ».

Un impératif, afin que les victimes d’aujourd’hui ne soient pas les bourreaux de demain.

 

V.D.

 

 

 

 

Publié dans crise ivoirienne

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